L’INTERVIEW DE CINTHYA GUERRERO, LA CRÉATRICE

Cinthya Guerrero est un rayon de soleil. Dès qu’elle entre dans sa boutique-showroom du 51 rue de Turenne à Paris, l’atmosphère s’égaie. La créatrice reconnaît bien volontiers que l’optimisme et la joie de vivre coulent naturellement dans ses veines, du fait de ses origines péruviennes. C’est d’ailleurs comme cela qu’elle a voulu sa marque : joyeuse, porteuse d’espoir et de bienveillance. Avec ses propres mots, elle revient sur la genèse de STELLA PARDO

01 Vous avez nommé votre marque STELLA PARDO du nom de votre grand-mère maternelle. Pourquoi ? 

J’avais envie que le nom de cette marque soit un symbole. Qu’il soit synonyme de force, d’empathie, de générosité, de joie et d’espoir. Ma grand-mère, Stella Pardo, était la personne qui incarnait le mieux ces valeurs. C’est une femme qui a dû élever et assurer seule l’avenir de ses dix enfants. Elle est parvenue à terminer ses études et à devenir professeure des écoles malgré sa charge parentale. Elle mettait un point d’honneur à soutenir les femmes qui étaient dans la même situation qu’elle. Aujourd’hui, elle est fière de voir son nom utilisé pour un projet aussi bienveillant, qui vise à rendre les femmes autonomes et indépendantes. 

02 Vous êtes née et avez passé la majeure partie de votre enfance au Pérou. Quels souvenirs en gardez-vous ? 

La première chose qui me vient à l’esprit en pensant Pérou c’est ma famille. J’ai grandi dans une famille de femmes fortes, qui ont toutes élevé leurs filles seules. Comme ma mère travaillait et qu’elle devait me garder en même temps, je passais beaucoup de temps dans ses ateliers. Elle était à la tête d’une fabrique d’uniformes. Je me souviens des instants où toutes les marchandises étaient prêtes à être expédiées. J’adorais l’énergie qui se dégageait dans ces moments. Tout le monde était tellement heureux, c’était comme si tous se disaient « ça y est on l’a fait, on a réussi ». 

03 À quel âge arrivez-vous en France ?   

À l’âge de 10 ans. Ma mère m’avait offert un voyage en France. Je me souviens du froid qu’il faisait lorsque l’on a atterri. C’était la fin de l’automne, j’étais émerveillée par toutes les couleurs flamboyantes des arbres. Il pleuvait énormément aussi. Lima est situé au milieu d’un désert, il ne pleut jamais. Donc cette pluie incessante, c’était quelque chose d’extraordinaire pour ma mère et moi. Je nous revois sous un arrêt de bus en plein centre de Metz… on est sorties de l’abri quelques minutes juste pour sentir la pluie sur nos joues. Ça a été l’un des plus beaux moments de notre vie parce qu’on était heureuses d’être là, dans ce pays au bout du monde, si différent de notre Pérou. Et puis on n’est jamais reparties… On a décidé toutes les deux de poser définitivement nos valises en France. 

04 Vous vous rêviez déjà créatrice de mode à l’époque ?

Non pas du tout… Pendant très longtemps je voulais faire de l’humanitaire, et même travailler pour l’ONU. Ça s’est fait plutôt progressivement. Comme nous avions décidé de vivre une nouvelle vie en France, il a fallu que nous nous adaptions avec des moyens plus limités. Je m’habillais souvent avec des vêtements de seconde main. J’adorais porter des costumes des années 70 ! Je me sentais belle et unique comme ça. 

05 À quel moment décidez-vous de lancer votre propre marque ?   

Après mes quelques années dans les médias et chez LVMH, j’ai eu envie d’autre chose. Je voulais créer une collection qui soit en adéquation avec trois principes fondamentaux : offrir du travail à des gens qui n’y avaient pas accès, venir en aide aux mères célibataires, et préserver l’héritage culturel. Je me suis aperçue qu’on avait une laine d’alpaga exceptionnelle au Pérou et de véritables compétences pour le tricot et le crochet. En 2009, année où je quitte mon poste chez LVMH, personne n’avait encore eu l’idée de lancer une production fait-main avec cette matière. Donc je me suis dit que j’allais faire des pulls en alpaga pour faire travailler des femmes depuis chez elles, selon des techniques de tricot héritées de leurs familles. 

06 Comment mettez-vous en place votre réseau de tricoteuses au fil des années ? 

Comment mettez-vous en place votre réseau de tricoteuses au fil des années ? Quand j’ai mis en place la production de notre marque, je suis allée directement dans les bidonvilles de Lima, trouver moi-même les tricoteuses avec ma tante Beldad. Les péruviennes se méfiaient de nous au début. Elles pensaient que nous venions les exploiter pour gagner de l’argent. Or, à cette époque, il était rare de voir des créateurs se rendre dans les bidonvilles pour recruter leurs artisans, et ça les intriguait quand même… À force, elles ont compris que je leur faisais confiance et que je croyais en elles. On a donc commencé avec 2 tricoteuses. On leur a dit « si tu as des sœurs, des cousines, des copines qui cherchent du travail et qui savent tricoter, passe le mot ». C’est comme ça que nous avons recruté d’autres tricoteuses. Au bouche-à-oreille. En 2020, on avait plus de 80 tricoteuses et le chiffre s’est encore agrandi depuis que nous avons mis en place un nouveau réseau à Cuzco.

07 Comment avez-vous appris le métier de créateur de mode ?

Je n’ai pas fait d’école de mode, j’ai appris le métier seule. Lorsque j’ai créé mes premières collections je me suis surtout fiée à mon instinct, et ça fonctionnait bien. J’ai beaucoup appris de chaque rencontre avec nos artisans. D’ailleurs, à force d’observer nos tricoteuses travailler, j’ai développé un don étrange : bien que mes compétences en tricot soient limitées j’arrive deviner à l’avance comment faire pour perfectionner techniquement les points.

08 Qu’est-ce qui vous inspire pour créer vos collections ?

Principalement les gens que je rencontre, les matières et les savoir-faire traditionnels. J’ai besoin de voir des mains tricoter, de toucher la laine, de discuter avec les artisans. Ça stimule ma créativité. Je m’inspire aussi de la nature, et des années 70. Je suis fascinée par cette période de flower power, de liberté et d’émancipation des femmes. Et puis les fripes m’amusent toujours autant. Je chine encore mes propres tenues. L’idée de recycler des pièces m’a poussé à lutter contre le gaspillage dans notre système de production : je réutilise au maximum tous les vêtements que nous ne vendons pas, et toutes les chutes de tissu.

09 Comment ça se passe lorsque vous créez une collection ? Vous vous rendez directement au Pérou ?

Oui, je suis sur place pour le développement de chaque collection. Je reste avec certaines de nos tricoteuses durant tout le processus. La plupart d’entre elles travaillent depuis chez elles. Le Pérou est un pays en voie de développement, il n’y a pas de crèches dans les bidonvilles, donc les mères célibataires doivent garder leurs enfants. J’ai très vite compris que ces femmes devaient être entrepreneuses, et non salariées, pour qu’elles aient toutes les libertés sur leur planning et sur le prix de leurs productions. Avec le système qu’on a mis en place, elles doivent tout de même se rendre une fois par semaine dans les ateliers de nos chefs de groupes pour qu’ils contrôlent leurs productions.  

10 Quelle place occupe votre ADN français dans STELLA PARDO ?

Quand j’ai lancé STELLA PARDO, je voulais mixer notre incroyable savoir-faire péruvien et nos matières premières de qualité avec un style complètement différent, sophistiqué, élégant, épuré. Il s’agissait de faire un mélange à l’image de ma double nationalité franco-péruvienne. La France est un immense musée à ciel ouvert. J’avais envie d’exploiter toute cette beauté qui m’entoure depuis mes 10 ans. Je voulais faire des pièces exclusives qui nécessitent beaucoup d’attention et d’heures de travail. Le luxe à la française se retrouve donc dans les coupes de nos pièces faites-main et dans leurs finitions impeccables. 

11 En 2021, vous lancez une nouvelle ligne de production éthique en Inde. Pourquoi ce pays en particulier ?

J’ai découvert l’Inde il y a 10 ans, et je suis immédiatement tombée sous son charme. Les couleurs, les traditions, la spiritualité, les marchés. C’est un pays qui a énormément à offrir et qui pourtant souffre d’une grande pauvreté. J’ai été très touchée par la détresse de nombreux Indiens. Alors, comme j’avais en tête de faire rayonner l’artisanat Indien comme je l’ai déjà fait avec l’artisanat du Pérou, je me suis lancée. Après la pandémie, j’ai mis en place une nouvelle chaîne de production équitable et responsable près de New Delhi, qui respecte les techniques indiennes de broderie et de tie and dye. Le commerce équitable n’est pas l’affaire que d’un seul pays. Lorsqu’on aura durablement offert de nouvelles perspectives d’avenir à nos artisans Indiens, on pourra commencer une nouvelle aventure, dans un autre pays, et venir en aide à d’autres personnes. C’est là le moteur de STELLA PARDO.